Prix Malesherbes 2008

Deux lauréats ex-aequo :

Pascal Bastien, L’exécution publique à Paris au XVIIIe siècle : Une histoire des rituels judiciaires, Champ Vallon, collection Epoques, 2006, 272 p.

Après avoir lu une dernière fois l’arrêt de mort, le greffier s’approche de la croix de Saint-André où le condamné est attaché. Il lui demande si de dernières déclarations restent à faire puis, en réponse à son silence, fait signe au bourreau que le temps est venu. La barre de fer s’abat, le corps est brisé. L’échafaud et le feu qui consumera le corps désarticulé offrent à la foule le spectacle de la justice. L’exécution publique à l’époque moderne a souvent été décrite par l’historiographie comme un théâtre de peur, de violence et l’obéissance selon Michel Foucault et les historiens qui s’en sont inspirés, elle réparait sur le corps du condamné la souveraineté divine et humaine blessée par le crime. Pourtant, les rituels judiciaires du châtiment s’inscrivent clans une réflexion plus large, plus complexe sur le droit et la morale : ils constituèrent un dialogue constant, voire une négociation, entre le justiciable et l’homme de loi. L’objet de ce livre est de reconstituer ce dialogue. Au carrefour des paroles, des écritures et du spectacle, Pascal Bastien entend expliquer les rituels de l’exécution dans le Paris du XVIIIe siècle bourreaux, condamnés, greffiers et confesseurs partagèrent et échangèrent, avec la foule et les magistrats, un  » savoir-dire  » du droit qu’on aurait tort de réduire trop simplement à la potence ou au bûcher. Hors des tribunaux, où la procédure était tenue secrète jusqu’au droit révolutionnaire, l’exécution publique fut un moyen de communiquer le droit par une mise en mots et en images du verdict. Elle fut aussi un instrument dynamique et efficace du lien social entre l’État royal et ses sujets-, de fait, la peine devint au XVIIIe siècle l’espace et l’instant d’un nouveau jugement, celui des justiciables à l’égard de leur justice. Plus que le châtiment à proprement parler, il s’agit ici de reconstituer et d’analyser les différentes articulations du spectacle de la peine à Paris au XVIIIe siècle. De la circulation des arrêts imprimés à la marche du bourreau dans la ville, et des mots du greffier lancés à la foule à ceux du confesseur consolant le condamné, l’exécution publique se révèle comme un événement capable, malgré ses contradictions internes, d’assurer une profonde cohérence à l’imaginaire judiciaire qu’elle participait à créer. Ce fut dans les rues de la ville que le Parisien attendait, espérait, consentait ou contestait la justice du roi.

Sylvain Rappaport, La Chaîne des forçats : 1792-1836, Editions Aubier, Collection Historique, 2006, 346 p.

Il faut imaginer le silence des campagnes françaises, brisé par le fracas qui monte du cortège de centaines d’hommes reliés par des colliers de fer. Cette musique effroyable, marque du châtiment et de la honte des forçats qui cheminent depuis la prison de Bicêtre jusqu’aux bagnes portuaires, a frappé nombre d’écrivains, de Victor Hugo à Frédéric Mistral. La chaîne ! Organisée par l’Etat qui en confie l’administration à une entreprise privée, elle déroule son long transfert de convicts : souvent un mois passé sur les routes, avec une mauvaise chemise pour seul bagage. Pour l’Etat, elle est, jusqu’à la monarchie de Juillet, l’outil d’une véritable  » pédagogie de l’effroi  » : le chemin de croix des forçats donne lieu à des manifestations de joie populaire qui célèbrent la victoire de la Justice sur le Crime. Puis, dans la France post-révolutionnaire, la dureté de la chaîne suscite peu à peu une montée d’émotion et d’indignation : ne faut-il pas secourir ces hommes qui souffrent ? Les nourrir convenablement ? Les soigner lorsqu’ils tombent malades ? Jusqu’en 1836, date à partir de laquelle les convois de prisonniers se font dans des voitures fermées, à l’abri des regards, la chaîne manifeste toutes les couleurs du spectre des rapports qu’entretiennent le Pouvoir et la violence.

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