Historien (CNRS) – Prix Malesherbes 1994
Normalien (ENS de Saint-Cloud, 1966-1970) et agrégé d’histoire (1969), Jean-Claude Farcy a débuté sa carrière comme professeur de lycée (en 1970, à Chartres), puis est devenu responsable du service éducatif des Archives départementales d’Eure-et-Loir, avant d’être recruté au CNRS en 1987. Chargé de recherche (au sein de la section 33), il sera successivement rattaché à l’université Paris-10 (Centre d’histoire de la France contemporaine), puis à l’université de Bourgogne, dans le cadre du Centre Georges Chevrier (devenu depuis lors Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche « Sociétés, Sensibilités, Soin » – UMR 7366), où il demeura jusqu’à sa retraite en 2011.
Si le premier thème de recherche auquel il s’est consacré a été celui de l’histoire rurale, d’abord dans le cadre d’une thèse de doctorat d’État consacrée aux Paysans beaucerons du XIXè siècle (Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 1989, 2 t.), puis à travers plusieurs études consacrées au salariat agricole (La moisson des autres. Les salariés agricoles aux XIXe et XXe siècles, Paris, Créaphis/Rencontres à Royaumont, 1996), aux migrations (La mobilité d’une génération de Français. Recherche sur les migrations et les déménagements vers et dans Paris à la fin du XIXe siècle, Paris, INED, 2003) ou à la jeunesse (La jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle, Paris, Éditions Christian, 2004), l’essentiel des travaux menés par Jean-Claude Farcy a été centré sur l’histoire de la justice et du crime à l’époque contemporaine.
Alternant la publication d’instruments de recherche novateurs, d’articles de fonds (plus d’une centaine) et d’ouvrages de référence, Jean-Claude Farcy nous lègue une production scientifique considérable. Parmi celle-ci, on distinguera le Guide des archives judiciaires et pénitentiaires, 1800-1958 (Paris, CNRS éditions, 1992), pour lequel il obtint en 1994 le prix Malesherbes, décerné par l’Association Française pour l’Histoire de la Justice dont il fut un membre fidèle et actif. Ce travail, issu d’une vaste enquête qu’il mena seul et en trois ans (en partenariat avec le Conseil de la recherche du ministère de la Justice, préfiguration du GIP-Mission de recherche Droit & Justice), trouvera un prolongement dans une non moins monumentale bibliographie de l’histoire de la justice, publiée sous le titre 2 siècles d’histoire de la justice en France. Notices Bibliographiques (Paris, CNRS Éditions, 1998, CD-Rom).
D’autres outils de recherche et de belles synthèses suivront : L’histoire de la justice française de la Révolution à nos jours. Trois décennies de recherches (Paris, PUF, 2001), qui constitue un éclairant panorama des chantiers ouverts (et restant à explorer) d’une histoire alors en plein essor ; le Code civil, 1804-2004 (Paris, Litec, 2004, en collaboration avec Alain Wyffels), qui rassemble, sous forme de CD-Rom, toutes les versions du Code civil depuis deux siècles ; mais également plusieurs bases de données consacrées au personnel judiciaire (Annuaire rétrospectif de la magistrature, 2010) ou aux victimes des répressions du XIXè siècle : en 2012, les Inculpés des insurrections de juin 1848, en 2013, les Poursuivis à la suite du coup d’État de décembre 1851, et en 2019, La répression judiciaire de la Commune de Paris : des pontons à l’amnistie (1871-1880).
Outre de très nombreux comptes-rendus d’ouvrages (parmi lesquels ceux de Denis Salas, président de l’AFHJ : La Foule innocente, Paris, Desclée de Brouwer, 2018, paru dans la revue Histoire de la Justice, n°30, 2019, ou bien Erreurs judiciaires, Paris, Dalloz, 2015, paru dans la revue en ligne du site Criminocorpus en décembre 2016) et des articles traitant des sources judiciaires, du fonctionnement de la justice, de son personnel, de la délinquance juvénile, de la criminalité, la prison ou la peine de mort, Jean-Claude Farcy nous laisse plusieurs publications majeures sur les discours de rentrées judiciaires aux XIXè et XXè siècles (Magistrats en majesté, Paris, CNRS, 1998), sur le rôle des parquets sous le Second Empire (Les rapports des procureurs généraux de la Cour d’appel de Dijon, décembre 1849 – juillet 1870, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2003) ou sur la criminalité en milieu rural (Meurtre au bocage. L’affaire Poirier, 1871-1874, Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2013, dans lequel il démontre avec finesse qu’à travers le prisme judiciaire, il est possible d’entrevoir le fonctionnement d’une société, de percevoir ses hiérarchies et structures sociales, mais aussi ses solidarités et tensions).
Au-delà de ses propres travaux, Jean-Claude Farcy ne dédaignait pas les collaborations scientifiques fécondes, comme en attestent nombre de colloques (organisés notamment à Dijon par Benoit Garnot, à Angers par Jacques-Guy Petit ou à Poitiers avec Frédéric Chauvaud) et certaines publications emblématiques : L’enquête judiciaire en Europe au XIXe siècle. Acteurs, imaginaires, pratiques (Paris, Créaphis, 2007, avec Jean-Noël Luc et Dominique Kalifa) ; Le juge d’instruction. Approches historiques (Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2010, avec Jean-Jacques Clère) ; ou l’Atlas du crime à Paris, du Moyen Âge à nos jours (Paris, Parigramme éditions, 2015, réalisé également avec Dominique Kalifa). En 2016, il avait participé au colloque organisé par l’AFHJ à Rouen, sur le thème Punir et réparer, de Jeanne d’Arc à nos jours (« Erreur judiciaire et réforme de la justice au XIXè siècle », dans Punir et réparer en justice du XVè au XXIè siècle, Claude Gauvard, dir., Paris, La Documentation française, 2019, p. 179-193). Tout récemment encore, il avait fait paraitre dans la revue Criminocorpus, une étude novatrice et stimulante sur « Une source inédite : le registre des enfants de la Commune de Paris (1871) » ; ultime témoignage de son incroyable talent à irriguer la recherche en suggérant de nouveaux terrains d’exploration scientifique.
Tous les universitaires et chercheurs qui ont eu la chance de le côtoyer peuvent attester que Jean-Claude Farcy était doté d’une puissance de travail hors du commun et doué d’une écriture limpide, au service d’une grande érudition. Mais ce chercheur au savoir encyclopédique avait aussi le souci de la transmission des connaissances au plus grand nombre, comme en témoigne la publication de quelques ouvrages de vulgarisation : Les sources judiciaires de l’époque contemporaine, XIXe-XXe siècles (Paris, Bréal, 2007) ; Histoire de la justice en France de 1789 à nos jours (Paris, La Découverte, 2015) ; ou encore Archives judiciaires et généalogie (Paris, Archives & Culture, 2018). C’est aussi cette volonté de valoriser l’histoire de la justice qui le poussa à s’investir dans le développement du site Criminocorpus, portail sur l’histoire des crimes et des peines, dont il fut membre du comité de rédaction dès 2005 et rédacteur en chef de 2011 à 2013.
Modèle de rigueur et exemple de modestie, Jean-Claude Farcy était attentif à chacun, et particulièrement aux sort et travaux des jeunes chercheurs. Toujours à l’écoute et disponible, il était d’une gentillesse extrême à l’égard des doctorants et postdoctorants, auxquels il prodiguait volontiers ses judicieux conseils. Homme très discret, il préférait indéniablement l’ombre à la lumière, mais tous ceux qui ont eu le privilège de travailler (ou simplement d’échanger) avec lui sont unanimes à reconnaître que derrière cette retenue pudique se cachait une éthique personnelle et professionnelle exemplaires. Chercheur remarquable, animé par « le goût de l’archive » et le plaisir d’en dévoiler les ressources, Jean-Claude Farcy était un grand historien de la justice. Il est décédé le 2 août 2020, laissant la discipline orpheline d’une de ses plus emblématiques figures.
Site Criminocorpus